Écoutons le médecin philosophe Michel Guermonprez qui a participé à notre ouvrage collectif « l’éloge de l’équilibre » paru chez l’éditeur l’harmatan .
« La vie est un équilibre instable à chaque instant compromis, à chaque instant rétabli.
L’arrêt de ces compensations s’appelle la mort. Entre la survenue désordonnée des évènements et les flux et reflux de nos humeurs interagissent les correspondances implicites qui font un destin.
Nos valeurs et nos certitudes ressemblent à ces trop petites bouées sur les plans d’eau : quand on s’y accroche, elles coulent.
Alors vous sentez que votre vie ne tient à rien dans un monde qui chancelle. L’interdépendance des phénomènes, la globalité des devenirs et leur connexion inéluctable, de l’effet papillon à une chaîne rigoureuse de causalités ne laisse à notre liberté qu’un espace mesuré. Pourtant, cet espace existe, il conditionne notre permanence, notre existence même. Le déséquilibre sans cesse corrigé nous ramène à un point d’équilibre qui représente notre identité remise en cause et sauvegardée. La ronde des univers et le cycle des saisons sont aussi les cycles de notre corps, les alternances de forme et de méforme de notre santé et de nos maladies, du bien-être et du malaise, de la joie et de la tristesse.
Équilibre et globalité régissent, avec l’évolution, tout notre devenir.
En prendre conscience c’est déjà préparer des choix et susciter des conduites.
Notre relation au monde qui nous entoure et aux autres qui partagent nos vicissitudes se fonde sur la connaissance que nous en avons, mais surtout sur l’acceptation de l’aléatoire.
Notre santé ne dépend pas seulement des causes immédiates reconnues par la médecine ordinaire qui rapporte aux microbes l’infection et au cholestérol l’infarctus, au sucre le diabète et à la vieillesse l’Alzheimer. Il y a toujours d’autres causes en plus, plus personnelles et qui tiennent à notre histoire et à notre environnement.
Votre bonheur ne peut être que celui que vous concevez et que vous désirez. Il dépend de votre histoire et n’a de sens que pour vous. Un bonheur d’État a rang de faribole. Ce n’est qu’en se concentrant sur sa propre histoire que l’on peut espérer trouver la voie de son propre bonheur, bien que notre vie soit une espèce de cul-de-sac qui finit mal.
Notre capital de valeurs, ce petit noyau sur lequel on ne transige pas, le noyau éthique et culturel pour lequel certains se font tuer, n’échappe pas à la mouvance générale et sa remise en question fait partie de la culture du moi.
Notre prospérité s’épanouit sur des bases fluctuantes. Il n’est pas nécessaire de se convertir à des croyances orientales pour prendre conscience de son impermanence et s’en détacher plus ou moins.
Notre bonheur se cultive à notre façon. Il n’y a pas de philosophie universelle. Il n’y a pas de sagesse pour tous. Mais se remettre en question, douter des certitudes, éprouver l’instabilité des acquis, aimer sans espérer, ressentir les cohérences entre toutes choses et toutes pensées, bref se fondre dans l’univers, c’est avancer vers plus de vérité et peut-être, un peu plus de chance de bonheur.
Équilibre et globalité sont bien les deux clés qui ouvrent la compréhension du tout et par là de notre univers intérieur ».