Depuis longtemps il y a l’être, la pensée, les intellectuels, les donneurs d’ordre, ceux qui sont censés savoir où nous allons ! Puis il y a l’avoir, ceux qui font pousser, qui construisent, fabriquent, distribuent, gèrent…
Tout ceci nous l’avons vu tout au long de notre histoire ; et nous continuerons de le voir, quelle que soit l’évolution de nos sociétés.
Sans remonter jusqu’à l’homo sapiens, commençons avec quelque chose de visible, la révolution industrielle par exemple, puis enchaînons avec la prospérité des 30 glorieuses. Nous avions acquis l’illusion que les choses ne pouvaient qu’aller dans le sens du toujours mieux, plus loin, plus haut, plus vite. Pour nous conforter dans ce rêve, nous avions les intellectuels d’un côté puis les entrepreneurs de l’autre. Les politiques pour gérer et les syndicats pour défendre la classe laborieuse et éviter les abus. Les enseignants pour que nos enfants soient de plus en plus savants et les curés pour nous rappeler que nous avions aussi une conscience. Nous nous sommes endormis, car nous pensions que ceux qui étaient aux commandes savaient où ils allaient. Dans la majorité des cas, nous flirtions avec l’illusion.
Bref, nous avions oublié que nous n’étions qu’à un court instant de notre histoire. Il en est toujours ainsi, lorsque les choses démarrent, tout va bien, il y a l’euphorie, la nouveauté, mais les choses ne durent pas toujours, même si les Hommes aiment se rassurer avec une notion d’éternité. « comme le durable »
Puis les problèmes sont arrivés, de plus en plus nombreux. Au début on les ignore, on croit qu’ils vont passer et que nous allons recommencer comme si de rien n’était ; il est si facile et agréable de s’illusionner. Les Hommes pensent que les crises ne sont qu’une question de réglage ; alors on appelle le mécanicien, puis l’ingénieur, puis une cohorte d’ingénieurs et de docteurs, mais nous devons nous y résoudre, les problèmes sont récurrents ; nous avons du mal à admettre que nous nous sommes égarés trop souvent. Alors que faire ?
Les philosophes sont arrivés pour donner leur avis en même temps que les sages. Ils ont dit qu’il était temps de classifier nos problématiques différemment. Il y a des problèmes qui ont des solutions, à nous de trouver les meilleures réponses. Puis il y a des problèmes insolubles, alors il faudra apprendre à les supporter à les dépasser en les oubliant parfois ; mais nous avions une grave lacune souvent nous n’avions pas la capacité intellectuelle de faire la différence entre les deux. Alors les Hommes ont préféré oublier. En quelque sorte, nous étions en face d’une frontière infranchissable. Puis, comme toujours d’autres révolutions sont arrivées. Ceux qui dirigeaient et croyaient tout comprendre ne les ont pas vu venir. Il en es toujours ainsi, les vraies révolutions sont toujours silencieuses. Elles portaient des noms bizarres Le transhumanisme, révolution numérique, intelligence artificielle. Puis, à la frontière où l’Homme s’arrêtait habituellement, de jeunes révolutionnaires ont dit qu’ils ne reconnaissaient aucune frontière, et ils la franchirent, car ils ne savaient pas qu’elle était infranchissable. Confrontés à cette réalité, les politiques convoquèrent leurs douaniers, mais en vain, comme toujours ils étaient en retard, les uns comme les autres.
Depuis la naissance de l’intelligence artificielle, beaucoup d’Hommes deviennent inutiles et ne marchent plus vraiment droit, même les philosophes cherchent à se recycler. Les plus tenaces d’entre eux disaient :
L’I.A. nous aidera à classer enfin les questions qui sont utiles et celles qui ne sont que nuisibles, celles qui sont possibles et celles qui sont irréalisables. Les plus doués d’entre eux s’élevèrent et à nouveau parlèrent d’une frontière infranchissable. Ils expliquèrent que L’I.A. aura ses limites ; elle ne travaillera qu’avec l’intelligence rationnelle soutenue par des esprits qui ne raisonnent qu’avec une pensée logico-mathématique et les réponses proposées (les fruits) ne pourront être que ceux de la graine qui aura été plantée. (les algorithmes)
Les propositions qui seront faites, grâce à son intervention, concerneront en priorité l’économie marchande, la finance, la santé, la gestion, les problématiques de la cité… L’I.A. sera même capable de nous proposer des solutions intéressantes pour nous apporter ces mieux et ces plus qui seront le piment de nos vies et améliorer la saveur de nos plaisirs.
Ici les philosophes firent barrage. Demain, qu’en sera-t-il de notre réel bonheur, celui qui ne peut qu’être personnel, car il relève de notre histoire autant que de notre génétique, de nos émotions qui devront s’adapter aux situations de l’instant et de celles à venir. Qu’en sera-t-il de tout cela lorsque le tout sera confronté à notre conscience ? à nos rêves ? à notre moi autant qu’aux autres ? Le mot était lâché « notre conscience » L’IA ne pourra jamais avoir de conscience. Ils étaient heureux, ils n’allaient pas perdre leur boulot. La conscience venait de les sauver.
Mais un autre trublion lança : demain nous franchirons la frontière de la conscience, d’ailleurs, à quoi vous sert-elle, puisque vous ne vous en servez pratiquement jamais ? Pour vous faire plaisir, nous vous fabriquerons une conscience artificielle. Les Chinois ne manqueront pas d’en fabriquer à pas cher.
Mais ceci est déjà en route lança un autre jeune scientifique, habillé d’un air triste. Chaque jour nous franchissons les frontières de votre conscience stérile. La société marchande n’a que faire de vos états d’âme. La conscience, dans le bilan de Big Brother a été remplacée par le compte pertes et profits, et ce depuis longtemps et vous ne l’avez même pas remarqué.