Naissance d’une vocation.

Je suis une jeune femme du Burundi. J’ai obtenu une licence sur la communication et le développement à l’université de Bujumbura. Puis, j’ai eu la chance qu’une ONG m’offre un stage à Terre et humanisme dans l’Ardèche. Là, je découvrais l’Europe et l’agroécologie. Cette technique me rappela immédiatement l’agriculture traditionnelle que pratiquaient les paysans de l’arrière-pays dans la région de Gitega où j’ai passé une grande partie de mon enfance. C’est ici que ma mère me cachait chez des paysans pour que j’échappe au génocide entre les Hutu et les Tutsi. J’ai connu des jours heureux avec les enfants des paysans. Nous vivions libres au milieu de toutes ces fermes.

Les villages chez nous ne ressemblent pas aux villages européens. S’il y a toujours un petit centre administratif avec son église, le reste des habitations sont dispersées, chacune sur un très petit lopin de terre. L’exploitation d’un paysan n’est guère plus grande qu’un jardin en France. C’est sur ces lopins de terre que vivent des familles nombreuses. La grande majorité des habitations sont recouvertes avec des tôles ondulées. J’avais connu la douceur des fermes avec un couvert végétal dont l’utilisation était gratuite. Il offrait une climatisation naturelle lorsqu’il faisait chaud, puis nous protégeait aussi du froid. Bien que proche de l’équateur, ici les nuits sont fraiches, car nous sommes en altitude.

Lorsque mon futur compagnon entendait le tintamarre que ces tôles provoquaient lors des pluies tropicales il me demandait pourquoi nous avions abandonné les toitures faites avec du végétal. Je lui expliquais que lorsqu’il y avait la guerre civile il était plus difficile de mettre le feu à des tôles qu’à de la paille.

Au cours des différents stages que je fis en France. Je constatais que les techniques qu’utilisaient nos paysans au Burundi n’étaient pas aussi archaïques que nous le disions. Sans le savoir, ils pratiquaient l’agroécologie. Technique présentée comme révolutionnaire en occident, où, de plus en plus de paysans abandonnaient l’agriculture à base d’engrais chimique. Les pesticides aussi étaient contestés, car ils étaient reconnus comme des perturbateurs endocriniens à l’origine de cette inquiétante épidémie de cancers qui rongeait le monde. Mon objectif bien compris était d’améliorer leur façon de cultiver pour mettre en place une agriculture moderne respectueuse de la terre et des Hommes. Cette façon de faire n’avait rien d’archaïque, mais faisait appel aux dernières découvertes scientifiques, je veux parler de l’agroécologie.

Lors de mes premiers séjours, je fus choqué de voir, même en Afrique, que l’image de ces paysans admirables était négative. Beaucoup de responsables pensaient qu’ils étaient ignorants.

J’étais révoltée. D’eux, j’avais appris l’essentiel qui construit un être humain. S’ils se contentaient de joies simples, c’est qu’ils n’avaient pas le choix ? C’est à leur côté que je compris ce qu’étaient la résignation positive et la sobriété heureuse ; ils souriaient plus que dans beaucoup d’endroits que j’ai eu l’occasion de traverser.

Je me souviendrai toujours qu’à la fin d’une première réunion, sans doute emportée par l’abondance de mes souvenirs qui s’entrechoquaient en moi, en les regardant dans les yeux, pour qu’ils ne baissent plus la tête, je leur dis : vous êtes les personnes les plus importantes de la Terre, car vous nourrissez les Hommes. Puis, en partant je les saluais tous en leur serrant la main, j’embrassais les femmes que je reconnaissais presque toutes; je leur jurais que je ne les oublierais jamais. Un pacte secret s’était noué entre eux et moi. Ma vocation était née. Ma vie désormais serait consacrée à aider tous ces gens qui forment l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur.